# Les ruses de notre cerveau

Il faut commencer par réaliser que notre cerveau tend à se protéger lui-même, notamment en trouvant des parades pour éviter l’inconfort mental.

La dissonance cognitive est un état de tension naturel de notre système de pensées lié à des informations, opinions, comportements ou croyances qui le concernent directement et qui sont incompatibles entre elles.

Le problème est que notre cerveau tend en permanence à réduire cette dissonance cognitive, par tous les moyens dont il dispose.
Un exemple simple à comprendre est la fable “Le renard et les raisins d’Esope” : un renard aperçoit des raisins bien mûrs, gros et violets, et souhaite les manger mais ceux-ci sont hors de portée. Ne parvenant à les atteindre, le renard finit par se persuader qu’ils ne valent pas la peine et il repart en pensant : “les raisins étaient trop verts”.
Un autre exemple plus ancré dans notre réalité est celui d’une personne aimant la viande et réalisant soudainement que la viande qu’elle mange tous les jours engendre de la souffrance animale.

Sorry children | Science | 2 illustrations de la Dissonance cognitive

Cette personne entre alors en dissonance cognitive, tiraillée entre cette nouvelle donnée qui la culpabilise (je contribue à la souffrance animale en mangeant de la viande) et les données qu’elle avait intégrées jusqu’alors (la viande a bon goût, elle fait partie de notre héritage gastronomique, elle permet de partager des moments, l’Homme est omnivore depuis toujours et mange donc de la viande…).

Cette situation de dissonance cognitive est inconfortable et notre cerveau va de fait vouloir réduire cette dissonance. Deux possibilité s’offrent à lui :
* Nous pousser à agir : dans le cas du renard, trouver un moyen d’attraper les raisins. Dans le cas de la personne aimant la viande, décider de devenir végétarien
* Déployer une parade mentale (une ruse) pour que la situation redevienne acceptable. Dans le cas du renard, s’auto-persuader que les raisins sont trop verts (alors qu’au départ il les trouvait bien mûrs). Dans le cas de la personne aimant la viande, plusieurs biais sont possibles (et souvent notre cerveau utilise une combinaison de ceux-ci) : se persuader que la souffrance animale ne nous touche pas, se convaincre que les conditions d’élevage ne sont pas si mauvaises, déléguer sa responsabilité à une autre entité (ce n’est pas ma faute mais celle des élevages industriels, des entreprises agro-alimentaires), s’accrocher à une vérité générale (l’Homme a toujours mangé de la viande), à un héritage social (la viande c’est la convivialité), stigmatiser un autre groupe (ces végératiens, ils nous font ch…, ils sont rabat-joies et moralisateurs. Je ne veux pas devenir comme eux”) ou bien encore stigmatiser (parfois en bloc) les différences (“avec toutes ces habitudes alimentaires différentes, ça devient trop compliqué : untel ne mange pas ci, untel ne mange pas ça, on ne s’en sort plus !”).
Notre cerveau choisit plus souvent la seconde option parce qu’elle n’implique pas d’action ultérieure. Une fois persuadé d’avoir fait le bon choix parce que “les raisins étaient trop verts”, le problème du renard est résolu.

Lorsqu’on nous annonce que :

  • L’extraction du pétrole va décliner dans quelques années entraînant un déclin énergétique globale,
  • 30 à 50% des espèces vont disparaître d’ici à 50 ans,
  • La température globale de la Terre augmentera de minimum 4° si l’on ne change rien,
    -> nous entrons en dissonance cognitive.

Les mécanismes de protection s’enclenchent : nous réfutons les chiffres, parlons de théories complotistes, traitons les gens qui parlent de ces problématiques d’alarmistes ou de trouble-fêtes. Tout biais cognitif est bon pour contester ces données qui remettent fondamentalement en cause notre mode de vie actuel. Mais les données sont là.

# Pourquoi s’alarmer ?

Pourquoi s’alarmer ? Tout simplement parce que les espèces vivantes et les écosystèmes disparaissent à une vitesse inégalée, parce que le réchauffement global de la planète n’est pas en voie d’être stoppé et risque d’engendrer toujours plus de catastrophes écologiques, de mouvements de population et d’inégalités sociales, parce que partout apparaissent des problèmes de santé physiques et psychologiques liés à nos modes de production et de consommation, parce que les énergies fossiles se raréfient et vont prochainement entamer un déclin global et que ce déclin n’est pas compensable par les énergies renouvelables ni même le nucléaire.

Les faits écologiques sont là - on ne les intègre pas parce qu’ils ne sont pas directement perceptibles par nos sens. Ils nous trahissent et nous disent que les problèmes ne sont pas si graves puisqu’on a encore de l’électricité, de l’eau et de la nourriture en abondance. Ces problèmes ne nous touchent - pour le moment - pas directement (on parle de problèmes hors contexte), alors nous ne les intégrons pas réellement. Et pourtant :

  • 60 % environ des écosystèmes sont pollués, très souvent surexploités et se trouvent de fait dégradés à très dégradés,
  • 30% des espèces de vertébrés sont en déclin,
  • Les populations de vertébrés ont été réduites de 60 % depuis 1970,
  • 40% des batraciens, 25% des mammifères dont tous les grands singes, 33% des coraux constructeurs de récifs et 34% des conifères sont menacés d’extinction,
  • Les populations d’animaux marins (mammifères, oiseaux, reptiles et poissons) se sont contractées en moyenne de moitié sur la planète au cours des quatre dernières décennies. Certaines ont même vu leur effectif fondre de près de 75 %,
  • Les récifs coralliens, les mangroves et les herbiers marins sont en déclin rapide. Si le rythme de ce déclin ne ralentit pas, ils pourraient très probablement disparaître du globe d’ici 2050,
  • ¾ des stocks de poissons sont épuisés, sur exploités ou pleinement exploités. 1 milliard de personnes dépendent du poisson comme principale source protéique,
  • La moitié de la forêt mondiale a été détruite au cours du XXe siècle et plus de la moitié des forêts primaires ont disparu,
  • Depuis 15 ans, l’équivalent d’un terrain de football est déforesté toutes les 2 secondes, soit une superficie annuelle équivalente à environ un quart de la France,
  • La consommation de pétrole a été multipliée par 10 en un siècle. Le déclin du pétrole est proche (il aura bientôt atteint un stade où ce ne sera plus rentable de l’extraire),
    Sorry children | Science | Chute de l'extraction du pétrole
    Source : Site de J.M Jancovici
  • Depuis la révolution industrielle la température globale aura bientôt pris 1°C,
  • Selon les scénarios du GIEC, nous subirons une augmentation de +1,5°C (scénario très optimiste et engagement de l’Accord de Paris) à 4,8°C (scénario Business as usual, en cours actuellement) en 2100 vs 1850, 5°C est ce qui nous sépare de la dernière période glaciaire (-11 700 ans), pendant laquelle le niveau des mers était à -120m et les glaciers recouvraient l’Europe,
  • Cancers, diabètes de type II, allergies (un Français sur trois est allergique) sont en augmentation constante depuis plusieurs décennies,
  • A Mexico, 70% des enfants des moins de 14 ans sont asthmatiques.
  • Un enfant sur 10 naît aujourd’hui avec une malformation congénitale ou une maladie rare, ce qui correspond à une multiplication par 1000 en 20 ans.

Principales sources : IPBES, listes rouge de l’UICN, rapports du GIEC, Artac (Association pour la Recherche thérapeutique anti-cancéreuse)

Cette liste, hélas, est loin d’être exhaustive.

# 9 milliards d’empreintes

2 facteurs se conjuguent pour générer les problèmes sociétaux et environnementaux :

  • d’une part l’augmentation de notre empreinte écologique individuelle, c’est-à-dire la quantité de ressources (mesurée en équivalent hectares de surface productive) qui nous est nécessaire pour subvenir à tous nos besoins (alimentation, logement, transports, biens de consommation, loisirs, etc.) et absorber les déchets et émissions de gaz à effets de serre générés ;

Sorry children | Science | Empreinte écologique des Français

plus d’infos sur l’empreinte écologique sur le site www.footprintnetwork.com

  • d’autre part l’augmentation exponentielle de la population humaine.

En résumé, plus nous sommes nombreux sur Terre et plus notre impact individuel est fort, plus le poids de l’humanité sur la planète est important (les 2 facteurs se conjugant).

La question de la démographie est complexe car elle implique des arbitrages politiques au niveau des Etats alors que depuis toujours les puissances des nations sont notamment liées à leur poids démographique. De plus, les mesures de dénatalité, touchant à un tabou social, rencontreront forcément une forte impopularité, notamment auprès des communautés dont les valeurs sont centralisées autour de la famille. Dans de nombreux pays, au delà de combler un manque de moyens de contraception, c’est tout un système de valeurs qu’il faut faire évoluer afin que la population se stabilise. Le graphe suivant est sans appel, nous serons bientôt 9 milliards d’humains sur notre Terre, alors qu’il y a moins de cent ans nous n’étions que 2 milliards.

Sorry children | Science | Evolution de la population depuis 2000 ans

En ce qui concerne notre empreinte écologique individuelle, il existe de fortes variations d’un pays à un autre et d’un individu à un autre. Pour autant, de façon globale notre empreinte a suivi depuis 100 ans une augmentation fulgurante.

Sorry children | Science | Evolution de l'empreinte écologique golbale

Le Jour du Dépassement Planétaire est la date à laquelle la pression annuelle de l’humanité sur la nature (Empreinte Écologique) dépasse la capacité de la Terre à régénérer des ressources naturelles sur l’année entière (biocapacité). En 2018, si toute l’humanité consommait comme les Français, elle aurait exploité l’équivalent des capacités de régénération de 2,9 Terre. Un résultat bien au-dessus de la moyenne planétaire qui évolue ces dernières années autour de 1,7 Terre. Et bien entendu, très éloigné du niveau soutenable à l’échelle de notre seule planète, » indique le rapport « L’Autre Déficit de la France » produit par WWF France en partenariat avec Global Footprint Network.

En 2017, le Jour du Dépassement Planétaire est intervenu le 2 août. Chaque année, nous épuisons les ressources totales de la planète plus tôt que l’année précédente. Nos activités humaines, qui étaient quasiment soutenables en 1970, “épuisent” la planète chaque année un peu plus tôt.

Sorry children | Science | jour de depassement de la planète de plus en plus tôt chaque année

Des actions sont entreprises à tous les niveaux (politiques mondiales, nationales, locales, normes RSE en entreprises, actions individuelles, ONG et mouvements associatifs), mais elles restent largement insuffisantes pour ralentir ce que la “méga-machine”(1) nous fait générer.

(1) Méga-machine : Néologisme introduit par l’urbaniste et critique social américain Lewis Mumford (1895-1990), désignant un mode d’organisation sociale caractérisé par un pouvoir centralisé reposant sur une monotechnologie autoritaire « basée sur l’intelligence scientifique et la production quantifiée, orientée principalement vers l’expansion économique, la satiété matérielle et la supériorité militaire ».

# Et demain ?

Effondrement ou pas, il n’est plus l’heure de se poser la question : il faut agir à présent. La nécessité de procéder à des changements radicaux s’impose dès maintenant, cela ne relève pas de croyances ou d’idéologies mais de données chiffrées partagées par la communauté scientifique.

A l’instar du climatoscepticisme, la foi aveugle dans une croissance sans limite devrait finir par céder sous l’évidence des limites.

Plutôt que de se demander quand surviendront ces changements et spéculer sur leur ampleur, la question que nous pouvons nous poser dès maintenant est : qui sommes-nous si nous restons les bras croisés à attendre que l’heure vienne ?

Cette question en engendre une seconde : comment, dès à présent, construire un autre modèle de société, moins dépendant puis indépendant des énergies fossiles, respectueux du vivant dont nous faisons partie et dont les valeurs seraient celles de l’entraide, de la coopération et de la solidarité ?

L’espoir réside dans cette question qui, plutôt que de nous paralyser dans la crainte de l’effondrement d’un modèle déliquescent, permet d’ores-et-déjà d’oeuvrer à la construction des bases d’une société à nouveau désirable.
Ce qui arrive n’est pas la fin du monde ni l’apocalypse, mais un immense défi pour l’humanité. Un défi d’éveil des consciences.